Discours de Madame le Premier président Élisabeth LINDEN
devant l'Association ADAVIP 53
devant l'Association ADAVIP 53
" Vous êtes quelques-uns dans cette salle à savoir que la Mayenne est un département qui m’est cher et que j’y reviens toujours avec un petit peu d’émotion.
Merci donc à l’ADAVIP de m’avoir conviée à dire quelques mots au début de ce colloque, quelques mots seulement parce que, ce qui est important ce n’est pas ce que je dirai mais ce que vous direz tous entre vous avec les apports de nos amis québécois qui vous feront partager leur expérience.
Septembre 1979
A la fin d’une audience de tentative de conciliation de divorce, dans mon bureau, un mari tue sa femme de coups de feu.
Celle-ci l’avait déjà quitté une première fois et avait bénéficié de l’aide de différentes associations.
Elle avait été hébergée dans un foyer d’aide aux familles mais son mari l’avait retrouvée et ramenée lui promettant qu’il allait changer.
Quelques mois plus tard, après avoir repris la vie conjugale parce que son mari avait promis de s’amender, elle avait dû fuir à nouveau et s’était réfugiée dans un autre foyer.
Elle avait demandé à nouveau le divorce et, c’est dans mon bureau, que sa vie s’est tragiquement achevée.
Si j’évoque brièvement cet évènement dramatique, c’est parce que, même vieux de 25 ans, il met en évidence la persistance des difficultés que le traitement des violences conjugales pose à notre société et notamment le fait que la prise en charge des femmes, quelle que soit sa qualité, ne peut suffire.
Une femme française sur dix qui vit en couple est victime de ce qu’on appelle les violences conjugales, qu’il s’agisse d’agressions verbales, de violences psychologiques, de chantages affectifs ou encore de violences physiques et sexuelles.
Certaines de ces violences se terminent tragiquement. 70 à 80 décès par an. En région parisienne, nous savons que c’est environ 50 % des femmes victimes d’homicides qui sont tuées par leur conjoint ou leur compagnon. Le cadre familial est donc celui dans lequel, les femmes sont victimes des violences les plus nombreuses et les plus graves. En définitive, c’est une famille sur dix dont l’équilibre est affecté, menacé voire détruit par les violences de toute nature.
Ce cadre fermé de la famille dans lequel ces violences sont commises explique sans doute en grande partie les difficultés rencontrées par tous : Associations, Pouvoirs Publics, Justice, Société pour lutter contre ce phénomène et peut-être aussi la tardiveté de certains questionnements. Mais sans doute fallait-il, lorsque cette difficile question a commencé à être prise en charge, pallier tout d’abord les urgences. Et les urgences c’était bien sûr l’accueil des femmes subissant ces violences.
Oublions aujourd’hui dans notre société qu’il faut séparer très strictement la sphère publique de la sphère privée qui est laissée pour une part essentielle à la liberté de chacun d’entre nous.
Il est très difficile, quel que soit l’intervenant, d’appréhender la réalité de ce qui se passe à l’intérieur de nos familles à l’abri du regard des autres. Et donc, ils répugnent d’autant plus à s’immiscer dans ce qu’ils considèrent comme la sphère privée que les victimes opposent souvent un silence, un silence qu’elles pensent protecteur. Ce silence des victimes, partagées entre le souhait du maintien d’une relation affective, aussi imparfaite soit-elle, et d’une situation conjugale difficile mais qui aussi apporte, à certains moments, l’illusion d’un avenir et une aspiration à quelque chose de plus accompli, l’aspiration à une vie en tant que personne à part entière.
Ce paradoxe du silence de la victime se cumule avec le silence de l’auteur, sa solitude et son déni permanent, sa dépendance à l’égard de son conjoint qu’il frappe. Et notre tradition nous a toujours conduits à éviter de franchir cette ligne de partage et à entrer dans la vie des autres avec des exigences comme, par exemple, celle de la prise en charge thérapeutique. La prise de conscience de la gravité de ce phénomène qui, est-il besoin de le rappeler, n’épargne aucune catégorie sociale a été rendue possible par le rôle déterminant qu’a joué le monde associatif et par le rôle essentiel, dans ce monde associatif, des associations soutenues par les femmes pour les autres femmes. L’organisation de ce colloque en est une nouvelle démonstration.
Depuis les années 60, cette prise de conscience a contribué à développer une politique d’accueil et de prise en charge des femmes victimes. Tout est perfectible et nous devons encore tous nous mobiliser pour que l’accueil des victimes soit amélioré Les récentes annonces qui ont été faites montre qu’il est possible encore de progresser, même si le dispositif a aujourd’hui atteint un niveau satisfaisant, qu’il s’agisse de la prise en charge matérielle des victimes, foyers, appartements d’accueil, aide ponctuelle, aide au retour à l’emploi et à la formation, qu’il s’agisse encore de l’amélioration de l’accueil des victimes par les services de l’Etat et nous avions tous besoin de temps pour progresser.
Je pense à l’époque où des progrès ont été réalisés, et cette progression est aujourd’hui toujours en cours pour aller encore beaucoup plus loin :
- Amélioration de l’accueil par les associations d’aide aux victimes
- Renforcement aussi de l’arsenal juridique beaucoup plus adapté, comme Monsieur le Procureur de la République vous en parlera tout à l’heure, notamment avec cette disposition qui figure dans la nouvelle loi sur le divorce permettant d’éloigner le mari violent du domicile familial dans le cadre de son divorce.
Mais force est de constater que, malgré toutes ces mesures, le nombre des victimes ne diminue pas. Or, tel doit bien être notre objectif à tous qu’il y ait moins de femmes battues, violentées, victimes d’injures ou de violences psychologiques. Nous savons aussi que la répression pénale atteint très vite ses limites et que, par conséquent, face à ce constat, c’est un questionnement sur la pertinence de l’approche que nous devons avoir. Si le soin apporté à améliorer le sort des femmes victimes continue et doit continuer à être une priorité absolue, de même que la répression des auteurs de ces violences, il apparaît avec évidence que, pour voir et espérer la situation s’améliorer, il est indispensable de s’attaquer à l’origine de la violence et non pas seulement de répondre à ses manifestations.
Travailler sur les causes d’un problème nécessite toujours un travail à long terme, dont les résultats ne sont pas nécessairement visibles rapidement. Un travail de cette nature a déjà commencé avec les campagnes d’information sur l’égalité des hommes et des femmes, l’égale dignité des personnes et le respect dû aux autres mais cette approche collective n’est pas suffisante, même si elle est nécessaire.
En répondant à la demande de prise en charge des victimes, en organisant la répression sans passer parallèlement par la prise en charge des auteurs de violences, nous n’avons jusqu’alors apporté que des réponses trop partielles. Il nous faut donc aujourd’hui poursuivre cette réflexion et porter attention à l’homme violent en même temps que nous portons attention à la femme victime de ces violences. La seule prévention efficace consiste à prendre en charge ces hommes violents pour les aider à modifier leur comportement.
A l’évidence, une telle démarche n’est pas facile. Dire que l’homme violent doit être aidé tout comme la femme victime, mais d’une autre manière, exige de dépasser le registre compassionnel pour accéder à un registre plus constructif et responsable. Et c’est sans doute pour ces motifs que les expériences de prise en charge des hommes violents en France ont connu quelques vicissitudes. Et ce sont ces difficultés que ce colloque va sans doute essayer d’analyser pour proposer des solutions pour les surmonter. Je suis sûre que l’expérience de nos amis canadiens, dont nous connaissons tous la qualité de la réflexion et de l’action dans tous ces domaines qui touchent à la famille et au racisme, va nous éclairer "
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire