Par Philippe Bilger, magistrat :
L'avocat général à la cour d'appel de Paris dénonce l'attitude, selon lui agressive, des magistrats à l'encontre de la garde des Sceaux.
On croit rêver. 534 magistrats ont envoyé une motion au ministère de la Justice pour dénoncer la politique pénale de la garde des Sceaux, ses «injonctions paradoxales» et les pressions qu'elle exercerait sur eux. Ils exigent, rien de moins, des «excuses publiques» à l'égard d'une collègue, substitut à Sarreguemines, «injustement critiquée» à la suite du suicide d'un mineur à Metz et de l'inspection ordonnée à sa suite.
Même si, paraît-il, cette démarche collective est engagée en dehors des syndicats, je relève qu'elle recoupe exactement les dénonciations que ceux-ci ne cessent de formuler à l'encontre de Rachida Dati. Ce mouvement qui semble spontané se manifeste alors que depuis longtemps il était loisible à tout magistrat - j'en ai moi-même fait la preuve - de mettre en cause tel ou tel aspect d'une politique en effet voulue par le peuple français, inspirée par le président de la République et mise en œuvre par la ministre.
Pourquoi alors aujourd'hui ? Pourquoi cette fronde incroyable qui donne l'impression du courage quand elle ne vise qu'à l'écrasement d'une faiblesse réelle ou prétendue ? À qui fera-t-on croire que c'est le hasard qui a déterminé le choix de cette offensive alors que, notamment pour l'affaire de Metz, la garde des Sceaux avait déjà fait amende honorable et que l'inspection pouvait refuser ces péripéties nocturnes ? Quelle étrange demande que celle «d'excuses publiques», qui constitue les magistrats comme des commissaires politiques de la pire espèce ! On veut peut-être aussi contraindre la garde des Sceaux à ramper et à crier grâce ? Autant j'éprouve l'orgueil de notre fonction, autant je hais l'arrogance de notre pouvoir.
Ainsi, parce que le président de la République a reçu l'Union syndicale des magistrats sans la ministre durant une moitié de l'entretien, les jeux seraient faits, la défaite de Rachida Dati consommée et tout permis. À ma connaissance, c'est une première dans la vie judiciaire : une telle contestation profondément politique qui a pour but de «finir» une personnalité déstabilisée. C'est moralement lâche, chacun s'abritant derrière les 533 autres, et institutionnellement choquant.
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